Philippe Crouzet conduit une mission d’insertion comme une entreprise du CAC 40

Le rendez-vous a lieu au siège de Vallourec, et malgré une turbulence boursière, il est confirmé. Il est vrai que nous sommes là avant tout pour parler d’Ares, une association d’insertion dont Philippe Crouzet est le président fondateur.

Cet article vous est proposé par Personnel, la revue de l’ANDRH

Tout commence il y a 30 ans, par la rencontre lors d’un stage à l’ENA de Philippe Crouzet avec un éducateur de rue. A l’époque, les SDF qu’on appelait des clochards colonisaient le métro. La prise de conscience que l’on peut ouvrir des perspectives de solutions par le travail devient alors une évidence. Mais c’est avec la SNCF que le projet se concrétise. Une association se crée, Atol 75, dont il prend la présidence. Jacques Fournier, PDG de la SNCF et Guillaume Pépy, son chef de cabinet de l’époque, lui donne mandat. La première société d’insertion voit le jour, suivie par Ares. « L’ambition devait être plus large. Il ne fallait pas que régler le problème de la concentration de clochards dans les gares, mais imaginer qu’un projet de réinsertion passe par le travail. A l’époque, les trois quarts des travailleurs sociaux n’y croyaient pas. Mais ça impliquait qu’il fallait faire des choix, être plus sélectif à l’entrée et accompagner ceux qui avaient un minimum de volonté de s’en sortir » Contrairement aux idées reçues, la priorité n’était pas de trouver un logement, mais bien une structure qui autorise la reprise d’une activité par laquelle Ares assure l’accompagnement, dont la formation.

A entendre Philippe Crouzet, on conduit une mission d’insertion comme une entreprise du CAC 40… Il faut une vision, une stratégie, une tactique, des moyens, des alliés et du « management de proximité »… C’est pourquoi il mobilise son réseau sans relâche, mais toujours dans une relation « gagnant-gagnant », on est loin des « bonnes œuvres » ! Si Vinci et Xavier Huillard en tête adhèrent au projet, c’est que les entreprises de BTP ont des problèmes de main d’œuvre de fin de chantiers. Les solutions proposées permettent de mobiliser les collaborateurs et assurent, par la formation et l’accompagnement, une réelle prestation de qualité. « Du coup, nous avons des clients solvables, dans le cadre d’un réel partenariat avec ses procédures contractuelles. Aujourd’hui nous intervenons avec des entreprises de BTP sur des projets prestigieux comme la rénovation de Jussieu, la construction du « pentagone », le futur siège des Armées, ou les sièges de SFR et de Veolia… »

Lorsque le social rencontre le management…

Outre le fait qu’il est presque incongru de parler plus d’une heure « social » ou « sociétal » avec un « patron » de grand groupe qui n’a rien perdu de sa motivation durant ces trois décennies, on découvre aussi que ce n’est pas qu’une posture, mais bien une véritable éthique personnelle. D’ailleurs, il confirme que cette approche est de plus en plus partagée par les collaborateurs des entreprises. « Après tout on pourrait penser que l’on paye des impôts pour régler ces problèmes. Mais ce serait sans comprendre que les retombées sont souvent plus importantes que l’investissement de départ.Les salariés découvrent des richesses humaines différentes, les encadrants des motifs de motivations collectives. Un exemple, lors d’un exercice d’incendie chez un de nos « partenaires-clients »,il manque trois personnes sur le point de rassemblement. Ce sont trois de nos salariés qui assurent les missions de nettoyage dans le cadre d’un partenariat insertion. En fait, on les découvre en blocage d’accès des escaliers. Ils ne voulaient pas que des intrus en profitent pour entrer dans les locaux désertés. Cet exemple est certainement plus porteur de valeurs auprès du personnel que bien des discours… » Chez Vallourec ces aspirations du personnel sont particulièrement évidentes dans les jeunes générations. L’engagement « humain » nécessite des actes, et c’est aussi au management de savoir les initier. « N’oublions pas que le mécénat humanitaire prôné par Claude Bébéar il y a vingt ans a donné le mécénat de compétence, qui est souvent un acte fort de motivation dans les entreprises. »

Calcul global

Et Philippe Crouzet d’ajouter que le calcul doit pouvoir être global. « On imagine parfois que certaines solutions ne sont pas les plus productives. Par exemple, permettre à une femme de ménage de travailler dans la journée, nettoyer au fur et à mesure au contact des autres collaborateurs… En fait, c’est propre quand il le faut…et pas la nuit. Et même si c’est un peu plus cher, l’insertion qui implique aussi la reconnaissance doit être validée dans son contexte sociétal. On évite des coûts collectifs, comme les urgences médicales sur ces populations par exemple… Bien entendu, il faut faire attention aux équilibres économiques. Il ne faut pas que le « social » engendre des désordres économiques, ce serait contre productif pour l’insertion. » Du coup l’engagement managérial prend des proportions inattendues. (…)

Et le DRH dans tout ça…

Il est vrai que l’interlocuteur des sociétés d’insertion n’est pas souvent le DRH. Ce sont plutôt les directions opérationnelles, ou les acheteurs. Le RH est généralement assez frileux lors des opérations de recrutement, l’insertion n’a pas toujours bonne réputation. Dans le secteur du bâtiment, les contraintes liées aux clauses sociales des appels d’offre facilitent un peu les choses, mais le champ de l’insertion est bien plus large et couvre un spectre de métiers très diversifiés. Pour réussir ces missions, il faut donc l’accord de principe du top-management, mais aussi et surtout convaincre les gens de terrain. Car si la collaboration est imposée, la première réaction, signale Philippe Crouzet, est de savoir si « je suis couvert en cas d’échec. Or, on ne peut évacuer l’idée de la prise de risque. Et ça, les opérationnels l’acceptent. En fait, la plupart du temps, il nous faut convaincre avant de remonter sur les RH. Dans les entrepôts de la FNAC, l’image de nos garçons fiers de porter les tee-shirts FNAC et hyper-motivés – ils n’ont souvent que ça dans la vie – valent mieux qu’une démonstration théorique. Et pourtant la filière RH est totalement légitime à s’approprier la démarche. C’est sur son périmètre. De plus, certains postes à bas niveau de qualification se stabilisent grâce à nos équipes et au final cela revient moins cher à l’entreprise. Exemple, chez Veolia Propreté, notre prestation a permis de mettre un terme à un turn-over endémique tous les 15 jours dans certaines cabines de tri. Il n’y a pas de honte à générer ainsi de la performance. Encore du gagnant-gagnant. »

Si parfois on entend dire que le DRH ne place pas la RSE au cœur de ses préoccupations, notre entretien avec Philippe Crouzet nous démontre s’il en était besoin, qu’un président est capable par son engagement personnel de participer à la reconstruction d’une cohésion sociale, qui est aussi un plus pour l’entreprise. Cet engagement est d’autant plus crédible que les budgets de l’Etat ne peuvent plus tout supporter et que l’entreprise, en y retrouvant aussi son compte, est souvent la seule à pouvoir apporter des réponses convaincantes. Il serait antinomique que la fonction « humaine » soit absente du dispositif, non ?

ZOOM Ares est une association créée en 1991 dont la vocation est de favoriser l’insertion sociale et professionnelle de personnes en situation d’exclusion par le travail et un accompagnement adapté. Elle regroupe huit entreprises d’insertion en Ile-de-France, intervient sur cinq métiers différents (logistique, collecte et recyclage, métiers du BTP, transport écologique de marchandises et gestion déléguée de production) au service de 195 clients pour un chiffre d’affaire de 15M€.